Entretien avec Yves Bernard (iMAL)

iMAL, Bruxelles, (19 août 2010).

 

Yves Bernard est depuis 1999 le directeur d'iMAL (interactive Media Art Laboratory), un Centre pour les Cultures et Technologies Digitales à Bruxelles. iMAL organise depuis 2007 des expositions, des conférences, des concerts et des performances et permet aux artistes d'accéder à un espace de recherche et d'expérimentation avec et sur les nouvelles technologies. Dans le cadre du projet Obsolete Equipment, Emanuel Lorrain et Rony Vissers (PACKED vzw) ont rencontré Yves Bernard pour savoir quels ont été les difficultés rencontrées par iMAL lors de l'exposition Playlist qui s'est tenue du 4 juin au 21 août 2010 et qui réunissait un corpus d'œuvres détournant à des fins artistiques des appareils obsolètes tels que des consoles de jeux et des ordinateurs des années 1980-1990.

 

PACKED : L'exposition Playlist que montre actuellement iMAL était montrée au LABoral1 en Espagne à Gijon, s'agit-il de la même exposition ?

Yves Bernard : Non, pas exactement, car en concertation avec le commissaire de l’exposition Domenico Quaranta nous avons décidé de la remanier pour iMAL. Nous avons ajouté d'autres pièces et certaines qui étaient trop grandes pour notre lieu n'ont pas été montrées. Pour la pièce VinylVideo2 par exemple, nous n'avons montré que la vidéo promotionnelle et pas l'installation entière. En contrepartie, nous avons ajouté deux pièces du collectif Jodi ainsi que des vidéos et des imprimés liés à la mouvance graphique et esthétique Low res3. Nous avons aussi fortement augmenté les playlists de musique 8-bit4.

 

PACKED : Comment fonctionne l'œuvre d'Alexei Shulgin 386 DX5 qui ouvre l'exposition ?

Yves Bernard : Elle fonctionne avec trois ou quatre logiciels différents. L'un d'entre eux s'occupe de l’affichage et le texte est dit par une voix synthétique provenant d'un ancien logiciel de Text-to-speech pour Microsoft 3.1, c'est ce qui donne ce son éraillé et étrange et le sentiment que la machine chantonne. Il y a ensuite un programme qui se charge de la communication entre l'affichage et le Text-to-speech6. Cette œuvre tourne sur un ancien ordinateur Intel 386 DX7, une machine de la fin des années 1990. Le fait qu'il s'agisse d'un vieil ordinateur, d'un objet technologique antique, est très important dans cette pièce. Dans la carcasse du 386 DX, il serait possible de mettre quelque chose d'autre, mais il est nécessaire pour l'œuvre qu'il y ait un écran à tube cathodique.

 

PACKED : L'artiste a-t-il fourni l'équipement pour l'exposition ?

Yves Bernard : Alexei Shulgin nous a uniquement fourni l’ordinateur, ensuite nous avons trouvé un moniteur.

 

<small>Vue de l'exposition <i>Playlist</i> : <i>386 DX</i> d'Alexei Shulgin.</small>

 

PACKED : En a-t-il été de même pour les autres œuvres ?

Yves Bernard : Le plus souvent les artistes nous ont fourni les équipements et lorsque ce n'était pas le cas nous avions par chance l'équipement nécessaire à iMAL. Pour une pièce de goto80 HT Gold8, le Commodore 649 n'était pas fourni. Pour C=64 SYNTH10 de Paul Slocum qui consiste en un synthétiseur vidéo réalisé pour Commodore 64, la machine était fournie mais n'a jamais fonctionné correctement à cause d'un défaut dans la sortie vidéo qui empêchait d'obtenir un signal satisfaisant sur le téléviseur. Mon garagiste m’avait donné il y a plusieurs années de cela une caisse de Commodore 64 avec lecteur de disquette externe que je n’avais jusqu'alors jamais ouverte et c'est grâce à ces consoles que nous avons pu montrer les deux œuvres. En principe, nous devions recevoir toutes les consoles, les jouets électroniques, etc. de LABoral qui eux les avaient reçus par les artistes. Cependant, certaines consoles NES11 défectueuses n'ont pu être réparées.

 

 Vue de l'exposition Playlist : C=64 SYNTH de Paul Slocum.

 

PACKED : S'agissait-il des consoles qui avaient été utilisées pendant l’exposition à LABoral ?

Yves Bernard : Oui, et elles étaient certainement défectueuses à la fin de l'exposition à Gijon, puisqu'elles n’ont jamais marchées à iMAL. Souvent, sur ce type d'appareil il suffit de nettoyer les contacts pour régler un problème, mais ici le problème était différent. Nous avons trouvé des consoles de rechange, mais cela ne marchait toujours pas à cause des différences de standards. Il y a des consoles NES américaines et des consoles européennes, ainsi que des cartouches américaines et des cartouches européennes qui bien évidemment ne sont pas compatibles les unes avec les autres. Pour lire une cartouche américaine, nous avions besoin d'une console américaine et la solution que nous avons trouvée a été d'emprunter des consoles modifiées pour être bi-standard à un magasin Bruxellois.

 

PACKED : Des consoles qui étaient donc déjà 'hackées' ?

Yves Bernard : Oui, c'est cela. Le monde du retro-gaming est très actif et il y a même une petite industrie qui s'est créée autour de lui. On trouve par exemple des cartes flash simulant un disque dur pour Commodore 64 qui coûtent 80 euros ainsi que toute une série d'autres petits périphériques faits avec des technologies modernes. C'est un marché qui permet de faire autre chose avec un vieux Commodore 64 trouvé dans un marché aux puces pour cinq ou dix euros. Dans la mesure où trouver les consoles, est encore relativement aisé et peu cher, il y a une communauté de fans de ces vieilles technologies qui les bricolent et les modifient.

 

 Vue de l'exposition Playlist : Nintendo NES modifiée pour être bi-standard utilisée pour montrer 5 in 1 de Paul B. Davis.

 

PACKED : Est-ce que les problèmes rencontrés par LABoral ont aidé à anticiper les problèmes de l'exposition à iMAL ?

Yves Bernard : Non, car malheureusement il n’y a pas eu de transfert ni de connaissances ni de liste des problèmes qu'ils avaient rencontrés. Cela est en partie dû au fait que LABoral a une façon différente de la notre de monter les expositions. Leur équipe en interne est très réduite, et quand ils font un montage d’exposition, ils font appel à des firmes de la région, qui une fois le vernissage terminé partent. Il n'y a alors plus personne pour maintenir les œuvres et c'est pourquoi à LABoral, certaines œuvres ne marchaient déjà plus le lendemain du vernissage.

Ici, nous réalisons les montages d'exposition nous-mêmes et nous avons essayé de maintenir l’exposition fonctionnelle le plus longtemps possible. Bien que les consoles aient été fournies, certaines d'entre elles ne marchaient pas, et il a parfois été nécessaire de nettoyer les contacts par exemple. Nous avions toujours quelqu'un sur place capable de faire de simples réparations. La pièce Pong12 par exemple, a été réparée au moins dix fois pendant la durée de l'exposition.

En dehors de l'équipe d'iMAL, j'ai aussi un réseau de freelances qui participent au montage. Ce sont en général des artistes qui "bidouillent" eux-mêmes dans le domaine et qui peuvent facilement être contactés de nouveau si l'œuvre a un problème pendant la durée de l'exposition.

 

PACKED : A-t-il souvent été nécessaire de maintenir les œuvres pendant la durée de Playlist ?

Yves Bernard : Certaines œuvres ont demandé plus de travail, mais c'était déjà le cas pour l'exposition Holy Fire13, où nous montrions une pièce de Cory Arcangel qui tournait sur NES. La console était restée dans un sachet en papier pendant plusieurs années et quand nous l'avons reçu elle ne marchait plus. Après un certain temps, les contacts s'encrassent, s'oxydent et ne tiennent plus très bien. Il faut alors prendre un tournevis pour démonter et ouvrir la console, incliner les contacts, etc. C'est pourquoi il est nécessaire lorsque l'on fait ce genre d'exposition de connaître les problèmes habituels que certains équipements peuvent présenter et d'avoir une connaissance minimum de ce qu’est un signal vidéo RF14, un signal vidéo composite15, etc. Or, tout cela beaucoup de gens l'auront oublier d’ici quelques années.

 

PACKED : Aviez-vous aussi les compétences pour intervenir au niveau de l'électronique pour dépanner certaines pièces ?

Yves Bernard : Il est souvent plus simple de trouver un autre ordinateur d’occasion que d'essayer de réparer un problème électronique. Nintendo a produit des millions de NES et le hardware est encore assez facilement trouvable. Dans vingt ans bien évidement ce sera différent.

 

PACKED : Est-ce que certaines œuvres n'ont pu être dépannées ?

Yves Bernard : L'Atari Falcon03016 pour l'œuvre de Dragan Espenschied17 avait une alimentation défectueuse et je n'ai pas cherché à en acheter un autre, car l'exposition touche bientôt à sa fin et qu'il faudrait réinstaller toutes les applications sur la machine et pour cela avoir aussi les périphériques adéquats.

 

Vue de l'exposition Playlist : un Atari Falcon030 dans l'installation de Dragan Espenschied Deluxe Mjuzakk Zerbastel Kit. Photo : iMAL.

 

PACKED : Ce type de réinstallation des applications avec les périphériques d'origines a-t-il été nécessaire au début de l’exposition ?

Yves Bernard : Oui, pour une œuvre avec un Commodore 64, pour laquelle l'artiste avait envoyé la disquette18 par la poste qui est arrivée abimée et illisible. Heureusement, un des autres artistes qui participait à l'exposition, Chantal Goret19, est belge et possède de nombreux Commodore 64. À partir du code envoyé par internet, il a pu refaire une disquette fonctionnel. Il y a un réseau d'artistes et de bidouilleurs qui ont les machines et les périphériques nécessaires, et a qui on peut demander de l'aide dans ce genre de cas de figures.

 

 Vue de l'exposition Playlist : un lecteur de disquettes pour Commodore 64 dans l'installation de GOTO80 HTGOLD.

 

PACKED : Est-ce que montrer les équipements d'époque était aussi un point important pour cette exposition ?

Yves Bernard : Oui, par exemple pour la pièce de Jodi qui a fait l'objet d'une étude de cas lors du projet Variable Media20, nous voulions vraiment les montrer sur le matériel d'origine même si elles peuvent tourner sur un émulateur. Il est possible de montrer ces œuvres avec le même son et quasiment le même graphisme autrement qu'avec un ZX Spectrum21, mais nous voulions conserver l'équipement d'origine et le grain du signal vidéo que nous aurions perdu avec un émulateur.

 

Vue de l'exposition Playlist : Jet Set Willy Variation de Jodi. Photo : iMAL.

 

Vue de l'exposition Playlist : détail de l'installation de Jodi Jet Set Willy Variation. Photo : iMAL

 

Dirk Paesmans du collectif Jodi nous avait prévenu que cela serait un peu difficile car le programme est stocké sur une cassette audio depuis laquelle il faut charger le code. Cela marche une fois sur deux et il faut refaire l'opération au bout d'un certain temps ; mais au final nous avons eu relativement peu de problèmes. Comme nous sommes proches de la fin de l'exposition, et que cela commence à devenir délicat de remettre en route les œuvres tous les jours, nous ne les éteignons plus et ainsi nous n'avons plus besoin de recharger le programme quotidiennement.

 

 Vue de l'exposition Playlist : Un ordinateur ZX Spectrum dans l'installation de Jodi Jet Set Willy Variation.

 

 Vue de l'exposition Playlist : un lecteur de cassettes audio utilisé pour charger le programme de Jet Set Willy Variation de Jodi.

 

PACKED : Jodi a-t-il fourni tout l'équipement pour Jet Set Willy Variations22 ?

Yves Bernard : Oui, ils ont fourni le ZX Spectrum, le téléviseur et tout le reste de l'équipement nécessaire pour montrer l'œuvre.

 

PACKED : Est-ce que les autres téléviseurs étaient aussi fournis par les artistes pour les autres œuvres ?

Yves Bernard : Non, j'ai souvent dû trouver les téléviseurs moi-même. Plusieurs d'entre eux proviennent de l'école d'art dans laquelle j'enseigne, l'ERG23, qui possédait un grand nombre de vieux téléviseurs qu'ils ont aujourd'hui remplacés par des écrans plats.

 

PACKED : Ont-il été choisis à chaque fois en fonction de l'époque de la console ou de l'œuvre ?

Yves Bernard : Pas vraiment. Cependant, même si certains sont plus vieux que d'autres la plupart d'entre eux ont environ une dizaine d'années. L'important était surtout d'avoir des téléviseurs à tubes cathodiques et qui ne soient pas trop grands.

 

PACKED : Est ce que pour chaque œuvres une documentation sur les procédures d'installation existait ?

Yves Bernard : Les feuilles d’instruction pour installer les œuvres, nous les avons reçu de LABoral qui ont très certainement retranscrit ce que les artistes leur ont dit. Pour monter la pièce Juvenile Amplifier24, il n'y avait pas de schéma ni de plan, donc nous l'avons installée à l’œil d'après une photo. Pour certaines œuvres, la procédure de mise en route est très simple, il suffit d'appuyer sur un bouton tandis que pour d’autres, elle peut être assez complexe comme on l'a vu pour les œuvres fonctionnant sur ZX Spectrum où il est nécessaire de charger les programmes à partir de cassettes ou pour les Commodore depuis des disquettes. Pour mettre en route l'œuvre de BEIGE The 8-Bit Construction Set Atari Data25 il y a toute une documentation contenant un ordre précis dans lequel allumer l'équipement, taper les commandes pour charger le programme, etc. Pour ces œuvres là, il fallait à chaque fois lancer les commandes le matin pour qu'elles soient en route et prêtes pour l'ouverture de l'exposition.

 

 Vue de l'exposition Playlist : Juvenile Amplifier de Joey Mariano/ANIMAL STYLE.

 

PACKED : Plusieurs œuvres dans l'exposition, invitent le spectateur à utiliser les machines, ce qui les rend d'une certaine manière encore plus vulnérables.

Yves Bernard : Oui, c'est le cas pour beaucoup d'œuvres de cette exposition. Il y a par exemple deux Sega Megadrives transformées26 en petits synthétiseurs son/image par Gijs Gieskes. L'artiste a ajouté une petite circuiterie de contrôle avec une interface physique dont il se sert lui-même pour "performer" et que les visiteurs de l'exposition peuvent eux aussi tester.

Rabato27 a transformé des jouets des années 1980-1990 en instruments de musique, et a fait par exemple d'un petit jouet pour apprendre l’orthographe un synthétiseur ou encore modifié des synthétiseurs pour enfants afin d'aller plus loin que les sons proposés par défaut. Contrairement à Gijs Gieskes, Rabato ne souhaite pas que le public y touche parce qu'il s'agit d'objets fragiles et c'est pourquoi nous avons à chaque fois ajouté une vidéo dans laquelle on peut voir l’instrument être utilisé et l'entendre fonctionner.

 

PACKED : Une autre pièce de Gijs Gieskes dans l'exposition, Gameboy Reboot28, joue particulièrement sur les caractéristiques même du hardware, et il serait dur de la montrer autrement qu'avec l'équipement originale.

Yves Bernard : En effet, il s'agit de deux Gameboy placées côte à côte qui passent leur temps à rebooter de concert. Cependant, bien qu’il s'agisse de deux machines identiques produites par le même processus industriel, un déphasage s’installe à mesure que les consoles redémarrent et montre qu'elles ne sont pas tout à fait les mêmes.

 

Game Boy Reboot de Gijs Gieskes. Courtesy Gijs Gieskes.

 

PACKED : D'autres œuvres dans l'exposition consistent elles en des systèmes électroniques faits sur mesure telle que la 1-bit Symphony de Tristan Perich29 ou PONG d'André Gonçalves. Les problèmes rencontrés avec ce types d'œuvres sont-ils de nature différente ?

Yves Bernard : C'est un type d'œuvres que l’on voit de plus en plus aujourd'hui, qui sont des objets électroniques complètement autonome où il n’y a plus du tout de disque dur ni d'autres parties mécaniques, mais uniquement des circuits et des puces intégrées. La pièce de Tristan Perich, artiste qui vient du mouvement chiptune30, exécute de la musique depuis le code contenu dans une puce. Elle est constituée d'un boîtier CD contenant un processeur, une batterie, un bouton on/off, un bouton reset, et un contrôleur pour le volume. Même si quand ils sont arrivés ici de LABoral un des deux exemplaires avait un boîtier fendu et que l’autre possédait une soudure défectueuse, ce genre de pièces a en un sens une durée de vie plus grande que les œuvres utilisant des consoles, car il suffit de remplacer un composant s'il est défectueux. Selon toute vraisemblance, on pourra toujours émuler une puce actuelle avec une puce du futur.

Cependant, dans la mesures où nous avons toujours réussi à trouver des équipements de rechange pour les œuvres fonctionnant avec des consoles ou des ordinateurs, celles faites sur-mesure par les artistes et qui consiste en un bidouillage contemporain sont souvent celles qui ont posées le plus de problèmes. Certains artistes font des choses qui ne sont pas conçu dans l'idée d'être robustes et durables. Or, indépendamment de l'aspect de préservation, je pense que les artistes doivent arriver à faire des pièces qui tiennent la route.

 

PACKED : Certains artistes sont-ils venus pour installer leur pièce ?

Yves Bernard : André Gonçalves est venu installer Pong , Jodi nous ont amené les éléments et Paul Davis de BEIGE est venu avec The 8-Bit Construction Set31 qui comprend un Atari, et trois platines vinyles.

 

PACKED : Est-ce que la documentation qui accompagne l'œuvre permet de savoir que l’œuvre doit être montrée avec les appareils d'origines ? Sinon, existe-t-il une documentation à laquelle on peut se référer pour savoir quels équipements doivent être utilisés ?

Yves Bernard : Non, cependant, même si à chaque fois il s'agissait d'une volonté de LABoral et d'iMAL, je pense que les artistes eux aussi préféraient montrer leurs œuvres avec l’équipement d’origine. Dans la documentation que l’on reçoit des artistes il n’y a pas de note d’intention, il s'agit d'indications purement techniques sur le dispositif tel qu'il se présente : "il y a une disquette", "cela s'allume de telle manière", etc. Il n'était donc pas indiqué comment l'artiste voulait que l'œuvre soit montrée, mais en discutant avec Jodi par exemple, il est devenu clair qu'ils aimaient l'idée que l'œuvre soit montrée avec l'équipement d'origine tout en nous indiquant que cela serait compliqué et que nous aurions des choses à faire chaque jour pour démarrer l'œuvre.

Je ne pense pas qu'une telle documentation concernant les équipements existe pour le moment. En tout cas, si elle existe nous ne l'avons pas reçu avec les œuvres. De plus, une grande partie de ces œuvres peuvent tourner sur un émulateur, il y a donc des solutions pour les "revoir". En revanche, cela va être difficile de remontrer ces pièces dans 15 ans de la même manière sur un équipement d’origine.

 

PACKED : L'œuvre de Shulgin date de 1998, mais dans l'exposition il y a aussi des œuvres plus récentes datant de 2008-2009 avec une esthétique des années 1990. Est-ce qu'ici aussi l'artiste souhaite utiliser un moniteur des années 1990, ou est ce qu’un moniteur de 2008 ferait l'affaire ?

Yves Bernard : L'œuvre de Jodi par exemple, a été montrée plusieurs fois et toujours de cette manière. Le style graphique de l'œuvre de Jodi avec des pixels et des couleurs primaires peut facilement être refait sur un moniteur d’aujourd’hui mais pour les artistes il continue d'être important de montrer la pièce avec ce type de téléviseur là et cela est même relativement implicite. Je ne sais pas si Paul Davis lui l’exige et je ne sais pas ce qu'il dirait si quelqu'un lui proposait d'exposer son œuvre avec un écran plat, mais pour nous il était clair que nous voulions utiliser du hardware de l'époque, ce qui fait que nous n'avons jamais eu de discussions avec les artistes à propos de possibles compromis. Tout le monde était d’accord dès le départ.

 

PACKED : Ne pensez-vous pas que dans cinq ans cela puisse ne plus être si implicite, surtout si une personne ne sait pas ce que c’est qu’est une super NES par exemple ?

Yves Bernard : Oui, les enfants qui ont dix ans aujourd'hui ne sauront peut-être plus ce que c’est, tandis que l’intention est aujourd'hui encore implicite pour la plupart des gens.

 

PACKED : Certaines pièces étaient-elles montrées différemment à LABoral ?

Yves Bernard : Pas exactement. À LABoral, certaines œuvres étaient montrées avec un écran TFT-LCD32 ce que je n'avais personnellement pas vraiment aimé et c'est aussi pourquoi nous avons utilisé des tubes cathodiques à iMAL. Par exemple, Eat Shit de NULLSLEEP33qui était présentée avec un projecteur vidéo à LABoral, a été présentée avec un vieux téléviseur à iMAL.

 

 Vue de l'exposition Playlist : Eat Shit de Nullsleep.

 

PACKED : Est-ce aussi parce qu'il y a une connotation à un univers personnel et intime dans une console de jeu branchée à un téléviseur que l'on ne retrouve pas dans une projection ?

Yves Bernard : Oui, cela change le rapport à l’œuvre, il y a un contenu émotionnel dans ces vieilles machines. De plus, l'aspect historique et pédagogique est lui aussi très important car beaucoup de gens ont oublié ou ne comprennent pas les dispositifs techniques. Par exemple, certains visiteurs ne comprenaient pas qu'un Commodore 64 ou un ZX Spectrum n'était pas simplement un clavier, mais qu'il s'agissait d'un ordinateur complet. D'autres ne comprenaient pas pourquoi il y avait un lecteur de cassettes audio, car ils ne savaient pas qu'on chargeait alors des programmes depuis ce support. Dans une telle exposition, rappeler cela est important.

 

PACKED : On peut donc s’imaginer que dans le futur, il sera nécessaire d’expliquer l’histoire d'une certaine technologie pour que des visiteurs soient capables de comprendre une œuvre ?

Yves Bernard : Oui, car sans cela on ne ressentira pas l’œuvre de la même manière. Il y a un énorme travail à faire pour constituer une documentation sur les équipements, sur leurs spécificités, etc. À iMAL nous possédons une salle où nous essayons de garder des vieilles machines que des gens nous donnent. Beaucoup de gens nous proposent des choses, mais nous avons des limites de stockage. Cependant, nous essayons de garder plusieurs générations d'ordinateurs Apple, ainsi que tous les logiciels et CD d’installation des systèmes MAC OS, pour pouvoir faire tourner de vieilles applications, des CD-ROM, etc.

 

PACKED : Parmi les œuvres présentes dans l'exposition, certaines font-elles partie de collections ?

Yves Bernard : Non, en revanche c’était le cas lors de l’exposition Holy Fire qui elle ne comportait que des œuvres faisant partie de collections. Même si ce n'est pas le focus de Playlist, on peut facilement imaginer que la pièce d'Alexei Shulgin puisse intéresser un collectionneur privé.

 

PACKED : Pourtant, la conserver représentera un défi ?

Yves Bernard : Oui, mais il y a différentes sortes de collectionneurs ; ceux qui sont passionnés par les œuvres et qui ne se posent pas la question de la durabilité de leur investissement financier s'ils aiment véritablement l'œuvre, et d’autres qui sont eux plus prudents.

 

PACKED : Pensez-vous que le fait qu’une œuvre soit vendue sur le marché puisse participer à ce qu'elle soit mieux préservée ?

Yves Bernard : Oui je pense que cela peut faire en sorte qu'une œuvre soit mieux conservée, car si on lui a reconnu une valeur et que le collectionneur y tient, alors il voudra la préserver. Il sera en revanche peut-être nécessaire que ce dernier trouve une structure capable de l'aider en lui fournissant des conseils ou des services. Le collectionneur doit aussi demander des garanties de pérennité à l'artiste au moment de l'achat, tel un contrat qui stipule qu'il doit obtenir le code source et aussi pourquoi pas des pièces de rechange.

C'est ce qui devrait être fait lors du processus d'acquisition, mais pour l'exposition à iMAL, les choses se sont faites de manière extrêmement informelle. Les œuvres sont peu documentées et comportent une grande part de variation dans la manière dont elles sont montrées car les directives données par les artistes ne sont pas nombreuses. Cela est aussi dû au fait qu'il s'agit encore d'expositions émergentes, et que les artistes sont en premier lieu contents que leurs œuvres soient exposées. Pour beaucoup d'entre eux que l'œuvre soit projetée plutôt que montrée sur un téléviseur à tube cathodique ou à écran plat n'a pas vraiment d’importance. En revanche, pour moi cela change complètement les choses de montrer l'œuvre de Jodi avec un ZX Spectrum plutôt que sur un ordinateur récent avec un émulateur.

 

PACKED : Même si iMAL ne collectionne pas d'œuvres, vous avez une collection de CD-ROM d'artistes qui eux aussi connaissent des problèmes dues à l'obsolescence des technologies informatiques et entre autres des systèmes d'exploitation. Quels sont vos projets pour ce type d'œuvres ?

Yves Bernard : Notre question concernant les CD-ROM est : que va-t-on faire de ce patrimoine produit principalement dans les années 1990 qui lui aussi risque de disparaitre si on ne s'en préoccupe pas ? L'espace Gantner qui possède lui aussi une collection similaire, montre tout ce type de documents grâce à des logiciels d'émulation. Nous avons nous aussi testé ceux existant, puisque pour les CD-ROM, contrairement aux installations, la plateforme matérielle a moins d'importance. Nous sommes arrivés à des résultats intéressants, mais certains CD-ROM ont de véritables particularités qui sont très difficiles à rendre dans un émulateur.

 

PACKED : Selon vous, quelles sont les efforts qu'il reste à fournir pour que de telles solutions puissent permettre de voir n'importe quelle application convenablement ?

Yves Bernard : Rendre ces émulateurs optimales serait possible si plusieurs institutions collaboraient ensemble pour les faire évoluer. Si on prend comme exemple SheepShaver34 qui est un projet Open Source35, il est certain qu'un effort de développement de la part des personnes qui travaillent sur les émulateurs serait nécessaire. Pour arriver à quelque chose de plus stable, il faut un cadre qui permette d'aider financièrement les développeurs.

 

 Le système d'exploitation OS 9 démarrant sur OS X avec l'émulateur SheepShaver.

 

Je pense qu'il est aussi important d'envisager des projets traitant à la fois les aspects légaux et techniques de l'émulation. Il serait intéressant de faire du lobbying auprès des fabricants et des éditeurs pour résoudre les problèmes de copyright sur des applications et des technologies qui n’ont aujourd'hui plus de valeurs commerciales. C'est le cas des ROM36 Apple produites il y a 30 ans par exemple. Il devrait même s'agir de lois.

 

 

Notes:

 

  • 1. Voir : http://www.laboralcentrodearte.org/
  • 2. Voir : http://www.imal.org/playlist/fr/artworks/143
  • 3. Low res vient de l'anglais Low resolution, soit basse résolution, c'est à dire en opposition à haute résolution une image avec une définition en pixels basse.
  • 4. 8-bit est un style de musique électronique inspiré du son des anciennes consoles de jeu 8 bit. Les musiques 8-bit sont composées de sonorités rappelant une ère technologique pouvant être vue aujourd'hui comme primitive et "dépassée" (sons de NES, Game Boy, et consoles Atari). Source : Wikipédia.
  • 5. Voir : http://www.imal.org/playlist/artworks/22
  • 6. Un logiciel de Text-to-Speech est une application permettant de convertir du texte en parole synthétique.
  • 7. L’Intel 80386 est un microprocesseur 32 bits CISC fabriqué par Intel. Il fut utilisé dans de nombreux ordinateurs personnels de 1986 à 1994. Source : Wikipédia.
  • 8. Voir : http://www.imal.org/playlist/artworks/33
  • 9. Le Commodore 64 était un ordinateur domestique 8-bit produit par la société Commodore International en janvier 1982. Il fut la première machine vendue à plusieurs millions d'exemplaires (de 17 à 25 millions selon les estimations), et il reste le modèle d'ordinateur le plus vendu à ce jour.
  • 10. Voir : http://www.imal.org/playlist/fr/node/125
  • 11. Le Nintendo Entertainment System (en français : le système de divertissement de Nintendo), ou NES, est une console de jeux vidéo 8 bits du constructeur japonais Nintendo sortie en 1985 en Amérique du Nord et en 1986-1987 en Europe et en Australie. Son équivalent japonais est la Family Computer ou Famicom, sortie quelques années avant, en 1983. Source : Wikipédia.
  • 12. Voir : http://www.imal.org/playlist/artworks/11
  • 13. Voir : http://www.imal.org/HolyFire/
  • 14. Un terme utilisé pour décrire les signaux radio entrants vers un récepteur ou sortant d'un émetteur radio (au-dessus de 150 kHz). Même s'ils ne sont pas vraiment des signaux radio, les signaux de télévision sont également inclus dans cette catégorie.
  • 15. Un signal vidéo dans lequel les éléments de luminance et de chrominance ont été combinés. Il permet une diffusion économique de la vidéo. La luminance et la chrominance sont combinées en utilisant un des standards d'encodage – PAL, NTSC et SECAM – pour produire de la vidéo composite. Le processus qui est une forme analogique de compression vidéo, restreint la bande passante (détails de l'image) des composantes. La chrominance est ajoutée à la luminance en utilisant une technique visuellement acceptable, mais il devient cependant difficile, sinon impossible d'inverser ce processus (décoder) vers de la pure luminance et chrominance. Cela peut poser des problèmes et particulièrement en post-production.
  • 16. L'Atari Falcon030 Computer System est le dernier ordinateur produit par Atari Corporation. Sorti à la fin de l'année 1992, le Falcon cessa d'être produit à la fin de l'année suivante lorsqu' Atari Corp. décida de se restructurer pour se concentrer complètement à la mise sur le marché et au support de son nouveau produit, la console de jeux vidéo Atari Jaguar. Portant le nom de code Sparrow, la machine était basée sur un processeur principal Motorola 68030 et possédait un processeur de signal digital Motorola 56000, ce qui la différenciait de la plupart des autres micro-ordinateurs de l'époque. Source\ Wikipédia.
  • 17. Voir : http://www.imal.org/playlist/artworks/8
  • 18. Une disquette est un support de stockage de données informatiques amovible. La disquette est aussi appelée disque souple (floppy disk en anglais) en raison de la souplesse de son support et par opposition au disque dur. Les formats de disquettes les plus courants sont des dimensions de 8 pouces, 5,25 pouces et 3,5 pouces ; la dimension correspondant au diamètre du disque magnétique. Source : Wikipédia.
  • 19. Voir : http://www.imal.org/playlist/artworks/32
  • 20. L'initiative des Médias Variable, est une stratégie non traditionnelle de préservation née en 1999 de l'effort des musées pour préserver les œuvres d'art médiatiques et performatives faisant parties de leur collections ayant par la suite engendré le Réseau des Médias Variables / Variable Media Network (VMN). À l'origine soutenu par une bourse de la Fondation Daniel Langlois pour l'Art, la Science et la Technologie à Montréal au Canada, le VMN est constitué d'un groupe d'institutions et de consultants internationaux, comprenant l'Université du Maine, le Berkeley Art Museum / Pacific Film Archives, Franklin Furnace, Rhizome.org et le Performance Art Festival & Archives. VMN est reconnu pour sa méthodologie qui cherche à définir des niveaux de changements acceptables dans une œuvres et à documenter la façon dont une sculpture, une installation, ou une œuvre conceptuelle, peut être altérée (ou non) pour la préserver sans pour autant perdre son sens essentiel. Voir : https://www.guggenheim.org/conservation/the-variable-media-initiative et http://www.variablemedia.net/
  • 21. Le ZX Spectrum est un ordinateur personnel 8-bit commercialisé au Royaume-Uni à partir de 1982 par Sinclair Research Ltd. D'abord appelée ZX81 Colour et ZX82 durant sa phase de développement, la machine fut ensuite baptisée ZX Spectrum par Sinclair pour mettre en avant son affichage couleur comparé à celui noir et blanc de son prédécesseur le Sinclair ZX81. Le Spectrum à au total existé en huit modèles différents, allant du modèle d'entrée de gamme avec 16 kB de RAM, au ZX Spectrum +3 sorti en 1987 possédant 128 kB de RAM et un lecteur de disquettes intégré ; la vente de tous ces modèles réunis a représenté 5 millions d'unités vendues dans le monde entier. Source : Wikipédia.
  • 22. Voir : http://www.imal.org/playlist/artworks/34
  • 23. Voir : http://www.erg.be/erg/
  • 24. Voir : http://www.imal.org/playlist/artworks/14
  • 25. Voir : http://www.imal.org/playlist/fr/artworks/155
  • 26. Voir : http://www.imal.org/playlist/fr/artworks/153
  • 27. Voir : http://www.imal.org/playlist/fr/artworks/152
  • 28. Voir note 26.
  • 29. Voir : http://www.imal.org/playlist/fr/artworks/142
  • 30. La musique Chiptune (de l'anglais chip, « puce informatique », et tune, « musique ») aussi connu sous le nom de Chip music, est une musique dont les sons sont synthétisés en temps réel le plus souvent par la puce audio d'un ordinateur ou d'une console de jeu vintage, et non basée sur des samples ou tout autre forme d'enregistrement audio. Elle est aussi parfois produite avec d'autres méthodes telles que l'émulation.
  • 31. Voir note 27.
  • 32. Un écran à cristaux liquides (LCD pour Liquid Crystal Display) est un écran d’affichage électronique plat et fin qui utilise les propriétés des cristaux liquides (LC) en matière de modulation de la lumière. Les écrans LCD ont supplanté le tube cathodique (CRT) dans la plupart des domaines. Ils sont généralement plus compacts, plus légers, portatifs et moins chers.
  • 33. Voir : http://www.imal.org/playlist/fr/artworks/140
  • 34. SheepShaver est un emulateur open source d'ordinateur Apple Macintosh PowerPC. En utilisant SheepShaver (avec l'image d'une ROM appropriée) il est possible d'émuler un ordinateur PowerPC capable de faire fonctionner les systèmes Mac OS 7.5.2 jusqu'à la version 9.0.4. SheepShaver est disponible pour Mac OS X, Windows et Linux.
  • 35. La désignation open source s'applique aux logiciels dont la licence respecte des critères précisément établis par l'Open Source Initiative, c'est-à-dire la possibilité de libre redistribution, d'accès au code source et aux travaux dérivés. Source : Wikipédia.
  • 36. La mémoire morte ou ROM (read-only memory) est un type de stockage de données utilisé dans les ordinateurs et d'autres appareils électroniques. Les données stockées dans la ROM ne peuvent être modifiées, ou seulement après un processus lent et difficile, de sorte qu'elle est principalement utilisée pour la distribution de firmwares (logiciels étroitement liés à un matériel précis, nécessitant peu de mises à jour). Source : Wikipédia.
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